1. Accueil
  2. les dossiers
  3. l'abbaye de loos

L'Abbaye de Loos

Publié le 25 mars 2011  

En sortant de Lille par l'A 25, lequel d'entre nous n'a jamais été intrigué par un ensemble monumental rompant avec l'environnement et touchant presque à l'inattendu. Certes on savait que la prison de Loos se trouvait là, maison d'arrêt et centre de détention ; les malheurs des deux guerres mondiales y avaient claustré tant de héros du quotidien et de l'exceptionnel que toutes les familles en étaient frappées. Mais beaucoup de nos contemporains répugnant à aller sur place les regarder… de loin, ignoraient comment se présentaient ces constructions et, plus encore, comment et pour qui elles avaient été élevées...
Plan cadastral napoléonien de 1814 situant l'abbaye - Archives départementales du Nord, cote P 31 / 253
Plan cadastral napoléonien de 1814 situant l'abbaye - Archives départementales du Nord, cote P 31 / 253

Historique de l'abbaye de Loos

Laissant à d'autres le soin de rappeler la construction de la maison d'arrêt (autour de 1900), notre propos est ici d'évoquer le centre de détention : l'ancienne abbaye de Loos.

Elle fut fondée à l'époque où les monastères bénédictins avaient montré un certain laisser-aller dans l'observation de la règle édictée par Saint Benoit. Cette règle montrait un remarquable équilibre entre prière, travail, récréation et sommeil. A la tête de cette réforme se trouvait Robert de Molesmes qui fonda le monastère de Citeaux d'où le nom de Cisterciens donné aux moines. C'est d'un des quatre monastères créés dans cette optique, Clairvaux - dont (le futur) Saint Bernard était l'Abbé que partirent des volontaires pour organiser la nouvelle fondation.

La donation que fit le comte de Flandre, Thierry d'Alsace, se réalisa vers 1146 ; elle permit à la nouvelle communauté dite de « rigoureuse observance » de se fixer en fonction de l'isolement pour y trouver la solitude : le « désert » comme on l'appelait ; mais aussi en fonction de la proximité d'un cours d'eau (la Deûle) que nécessitaient la facilité des communications, l'approvisionnement en poisson, sans oublier les autres fonctions ordinaires.

Ce n'est pas le lieu ici de raconter l'histoire religieuse de ce monastère voué à la Vierge Marie comme l'indique son nom qui est probablement à l'origine de celui de Loos (jadis Los ou Laus) Laus Beatae Mariae (louange à la Bienheureuse Marie). L'Inventaire des Archives départementales du Nord, réalisé par l'archiviste Max Bruchet en 1928, dresse une longue liste de publications relatives à ce sujet, parmi lesquelles la fameuse « Histoire de l'abbaye de Loos » par dom Ignace Delfossequi emplit cinq volumes manuscrits (maintenant à la Bibliothèque municipale de Lille) à laquelle il faut ajouter « Loos, ses abbés, ses seigneurs » par C-S Spriet.


Les bâtiments de l'abbaye de Loos

Notre propos est de montrer la qualité des constructions qui abritèrent une vie monastique pendant plus de 600 ans.
Ce n'est pas avant le tout début du XVIIème siècle, grâce à une gouache d'un Album de Croÿ, que nous avons une représentation crédible de l'ensemble. Cette vue a l'avantage de montrer les bâtiments médiévaux, notamment une monumentale église, de style gothique : ce qui est déjà fort appréciable.


L'abbaye en 1613. Gouache de l'Album de Croÿ XII/1, planche 4, partie supérieure. Publication du Crédit communal de Belgique et de la Région Nord-Pas de Calais.
L'abbaye en 1613. Gouache de l'Album de Croÿ XII/1, planche 4, partie supérieure. Publication du Crédit communal de Belgique et de la Région Nord-Pas de Calais.

Les autres représentations sont beaucoup plus tardives et nous en parlerons plus loin. Mais il nous reste un grand nombre de plans dressés lors de la grande reconstruction. Celle-ci occupa plusieurs décennies au milieu du XVIIIème siècle. L'église était, alors, en fort mauvais état, témoins les deux étais qui soutenaient la façade ouest (cf. la gouache évoquée ci-dessus) et des effondrements de voûtes s'étaient produits, suite au tremblement de terre de 1692. La décision de la reconstruire fut contrecarrée par un long procès que menèrent trois moines contre leur direction.


Lille Archives départementales Plan Lille 159, cliché JL Thieffry
Lille Archives départementales Plan Lille 159, cliché JL Thieffry

Finalement, ce remplacement de l'église s'intégra dans un projet global dont les Archives départementales gardent les plans. Le premier projet (1752), dû à l'architecte bourguignon Goualle, disposait les bâtiments autour d'une cour carrée où se déroulait le cloître. Deux ailes prolongeaient les côtés est et ouest et offraient ainsi un large espace ouvert au sud. Le second projet daté de 1757, signé de Nifetta, architecte, ne fut adopté qu'en 1765 par les instances administratives et religieuses ; c'est ainsi qu'on peut y voir la signature de Gombert Thomas-François-Joseph « architecte, arpenteur et expert-juré des ville et châtellenie de Lille ». Ainsi que par l'abbé de Clairvaux. Ce projet ne différait guère du premier dans sa logique générale. Mais on y ferma la cour méridionale par une aile centrée sur le portail avec perron (selon une organisation qu'on retrouve à l'abbaye bénédictine Saint-Vaast d'Arras). Les deux plans montrent bien que l'église était déjà construite et par le second plan nous voyons qu'était réalisée la chapelle orientale dédiée à la Vierge.

Si nous avons bien heureusement gardé les plans aux différents niveaux (à une exception près), on ne sait ce que sont devenus les dessins des élévations.


Retour sur l’histoire

C'est ici que les dessins conservés à la Bibliothèque municipale de Lille nous sont très utiles. Comme tous les établissements religieux français, l'abbaye de Loos devint bien national en 1789 et les moines invités à trouver refuge ailleurs. Si les terres, prairies, etc. furent mises en vente, l'Etat laissa les bâtiments en réserve, en prévision d'un usage militaire et/ou hospitalier qui devint réel au moins en 1794. Pourtant, rien de durable ne se fit. Et l'abbaye devint parc à moutons... et lieu d'entrepôt militaire. Ce n'est qu'en 1796 que l'ensemble fut vendu à deux frères Virnot qui n'en prendront possession pleine et entière qu'en 1800 (on lira avec profit l'article qu'Alain Gérard avait publié lors du 30ème congrès des Sociétés Savantes du Nord qui se tenait à Marchiennes en 1995 : « L'abbaye de Loos, hôpital militaire pendant les guerres révolutionnaires » assorti d'un appareil de notes d'archives et de bibliothèques).

Les frères Virnot avaient l'intention d'y établir notamment une usine de blanchiment de toiles. Après la faillite de leurs entreprises, l'Etat, qui, en 1812, avait songé, aussi, à y faire un dépôt de mendicité, trouva, en 1817, les lieux fort propices à l'établissement d'une prison et désigna Thierry comme architecte des transformations.

Le dessin géométral de Dewarlez met bien en valeur la composition architecturale de la façade ouest : sur un haut soubassement s'élèvent deux niveaux couverts d'un toit optiquement de même hauteur. Trois pavillons relèvent l'éventuelle monotonie de cette longue façade ; un à chaque extrémité ; le troisième dans le milieu, plus important et plus saillant que les deux autres marque l'entrée à partir de la ferme. Tous trois sont couronnés de frontons triangulaires. Enfin, 25 fenêtres éclairent chaque niveau, ainsi réparties : trois par pavillon et huit de part et d'autre du pavillon central, soit au total 50 ouvertures ; sans compter les huit lucarnes du toit. Nul doute que la façade nord s'organisait de la même manière. La façade sud, qui accueillait la grande entrée, bien que moins allongée, offrait un caractère prestigieux, qu'on a du mal à percevoir présentement. A l'intérieur des deux cours, on retrouve la même régularité de percements, y compris là où se trouve le cloître, enfermé comme il se doit à cette époque dans notre région au climat frais.


Vue d'ensemble dessiné en géométrale par B-J Dewarlez en 1812. Bibliothèque municipale de Lille carton 7 n°2
Vue d'ensemble dessinée en géométrale par B-J Dewarlez en 1812. Bibliothèque municipale de Lille carton 7 n°2

Les maçonneries étaient faites de grès en soubassement, de pierre mêlée ou non à la brique suivant le caractère de l'endroit. Cet ensemble ressortait finalement de l'architecture civile qui se pratiquait dans la région au moment de sa reconstruction.


Détail de l'architecture et des maçonneries des bâtiments de l'abbaye de Loos

Seules ses dimensions imposantes et la présence de l'église conventuelle lui donnaient un caractère religieux que l'organisation intérieure confirmait à coup sûr. L'église elle-même avec ses ordres superposés couronnés d'un fronton avait emprunté les règles « classiques » alors très en vogue (cf. l'église Saint-Étienne).


L'église du monastère en cours de démolition. Archives de la police aux archives départementales. Fonds non classé.
L'église du monastère en cours de démolition. Archives de la police aux archives départementales. Fonds non classé.

Pendant le second conflit mondial, les bâtiments subirent de gros dégâts. Dans les années qui suivirent, d'énormes travaux de reconstruction et de restauration furent engagés, dont certains furent réalisés par les prisonniers. Certes on utilisa le béton, mais l'aspect extérieur fut rendu comme il se présentait antérieurement ; on sculpta à nouveau les frontons. Ainsi reconnaissait-on, dans les années 50 du XXème siècle, la beauté des lieux !

En dehors de ces bâtiments strictement monastiques, on trouvait un portail monumental, élevé en 1746.


La porte principale. Au fond, les bâtiments claustraux devenus la prison. Bibliothèque municipale de Lille, fonds Spriet.
La porte principale. Au fond, les bâtiments claustraux devenus la prison. Bibliothèque municipale de Lille, fonds Spriet.

C'était une pièce admirable où des colonnes encadraient l'entrée et soutenaient une solide architrave. Secoué par un bombardement de la seconde guerre mondiale, il fut laissé sans entretien et finalement démoli. Comme celui de l'abbaye de Marquette ! La porte Nord dite de Duremort est maintenant noyée dans la maçonnerie, pour ce qu'il en restait. On y trouve encore le chemin pavé de grès et la plaque indicatrice de drève de l'abbaye ! Enfin de beaux piliers carrés en pierre traitée à refends rappellent, au milieu de constructions plus récentes, que l'abbaye était là aussi.


Porte Nord dite Duremort et la drève
Porte Nord dite Duremort et la drève

Pouvait-on imaginer que de tout cela il ne resterait plus rien ? Ce lieu monastique où quand survint la Révolution, vivaient encore 40 religieux, soit l'effectif le plus important après Clairvaux et Cîteaux ; qui a dû au hasard politique et économique de ne pas être voué à la démolition, au pilonnage de ses matériaux pour de sordides intérêts financiers ; qui a résisté de mille manières, ce qui maintenant lui permet d'exister encore et d'être encore visible ! Non il n'était pas possible de le laisser détruire. L'autre abbaye cistercienne de moines dans le département du Nord, Vaucelles, garde une aile gothique et une façade du XVIIIème siècle. Quant au Pas-de-Calais, il ne reste pratiquement rien de Claimarais (sauf une belle ferme), ni de Longvilliers (sauf une grange). Seule restait Loos. Seule reste Loos...


Vestiges de l'abbaye hors périmètre de la prison
Vestiges de l'abbaye hors périmètre de la prison

Les adhérents de la Renaissance se souviennent-ils d'avoir milité pour qu'une autre propriété cistercienne survive grâce à leur opiniâtreté : la maison de ville des moines de Loos, le « refuge » comme on disait alors (rue Jean-Jacques Rousseau) ? Ce lieu est, maintenant, un des fleurons de notre ville. Que cet exemple serve d'encouragement !

Cet article est extrait de notre bulletin de mars 2011, que vous pouvez vous procurer par correspondance, ou en vous rendant dans notre local de la rue de la Monnaie.

Rechercher parmi les articles

Saisssez ci-dessous votre recherche, sous la forme de mots ou d'une expression.