Lille et l'eau : des canaux et des hommes
Publié le 03 octobre 2025
Des canaux et des hommes
La Deûle et son affluent le Becquerel sont aux origines de la ville. Au rivage du Wault, la Deûle fait une chute de 7 pieds soit 2m10 environ. Elle en fait une autre de même importance, à la sortie de la ville primitive aux Moulins du Château. A l’est de Lille, de la même façon, l’agglomération de Fins naîtra aussi à l’endroit où le Becquerel fait une chute de 3 pieds. Entre Haute et Basse-Deûle les hommes vont décharger les marchandises et les transporter par voie de terre. Dans la ville, la Deûle se ramifiait en une multitude de rivières intérieures. Traversant la ville paresseusement, ces canaux peu profonds parfois creusés de main d’homme n’étaient navigables que par des barques ou baquets. Ils servaient aussi d’égouts à ciel ouvert où s’accumulaient détritus et immondices de toutes sortes. Des pentes insensibles, des coudes brusques en gênaient l’écoulement.
Aujourd’hui, dans la dénomination des rues de la ville, se mélangent encore les canaux et les hommes
Par exemple, la rue de l’Arc désigne l’arcade d’entrée des eaux, la rue de la Baignerie et la rue des Molfonds rappellent les anciens fossés. Que dire du «clapotis» des Poissonceaux, de la Picquerie, du Pont-à-Raisnes, des Ponts de Comines ou de la Rivièrette, face à d’autres rues qui portent le nom des Bouchers, des Tanneurs, ou des Foulons installés en bordure de la rivière. A la suite des agrandissements apparaîtront de nouveaux canaux au nom des communautés religieuses disséminées dans la ville : les Soeurs Noires, les Vieux-Hommes, les Jésuites, les Hibernois ou les Célestines.
L’eau, source de prospérité de la ville médiévale
Pour mieux communiquer avec la Flandre et la mer au sortir de la ville, la Basse-Deûle sera la première aménagée en 1245, par la Comtesse Jeanne. En ville, la dotation de son hôpital Notre-Dame sera très importante avec le droit de pêche sur la Deûle et le droit de mannée dans la ville et ses environs.
En mai 1267, sa soeur Marguerite donnera à la ville de Lille la rivière depuis le pont du Rivage jusqu’à Deulémont avec le droit d’y pêcher et surtout d’y percevoir un droit de péage.
Quant à la Haute-Deûle, le 31 août 1271 par un traité intervenu entre la ville et Jean, châtelain de Lille, ce dernier, moyennant une somme de 1500 livres d’Artois, monnaie de Flandres, s’engage à ouvrir à ses frais un canal depuis La Bassée jusqu’à Haubourdin, puis de Haubourdin jusqu’à Lille sans toutefois se charger de l’achat des terrains nécessaires.
En mai 1285, Henri, Seigneur du Breucq, vendra à la ville de Lille le « Plash de Fives » soit un petit étang avec tous les courants d’eaux vives qui encerclaient le Prieuré. Du Plash s’échappait le ruisseau du Becquerel alimenté par une importante nappe d’eaux souterraines venant des carrières de Lezennes. Ces eaux très pures ne gelaient jamais et étaient connues comme la Chaude-Rivière.
La ville de Lille fera immédiatement usage des eaux du Becquerel, les captant avant leur entrée en ville pour mieux les conduire par des buisses en plomb jusqu’aux huit fontaines publiques qui sont « un bel trésor ».
Malgré les curages successifs chaque hiver, et en été après les pluies d’orage, le Becquerel sortait de son lit et inondait les terres voisines ; le canal des Vieux-Hommes conduira directement à la Basse-Deûle le trop plein du courant. Le Becquerel était aussi un simple canal dans la ville et sa traversée à travers Saint-Sauveur et Saint-Maurice était bien difficile.
En 1291, Guy de Dampierre, assurera à la ville la possession du chemin de halage de la Haute-Deûle et lui vend avec l’abandon de ses droits tous les canaux.
La conquête française et les eaux du Fourchon
En aval de la Planche à Quesnoy, la Deûle se divisait naturellement en deux branches au lieu-dit le Fourchon. En 1566, au cabaret de l’Arbonnoise, le Magistrat fera détourner la moitié des eaux du Fourchon. Il fera creuser le canal des Stations qui met en communication directe la Haute-Deûle avec le canal des Hibernois. Le Fourchon faisait tourner les moulins de Wazemmes avant d’entrer en ville derrière le Palais Rihour.
Lors de l’agrandissement de la ville sous Louis XIV, Vauban détournera les eaux du Fourchon pour creuser le canal qui portera son nom, un lit artificiel qui conduira à pied d’oeuvre les matériaux nécessaires à la construction de la Citadelle.
Le XVIIIème siècle
En 1700, le Magistrat décide que les quais du Rivage et de la Basse-Deûle seront prolongés jusque dans la basse ville « afin de ne plus faire qu’un seul canal depuis les Moulins du Château jusqu’au Pont Levant ». La ville s’embellit avec la construction du Pont-Neuf et des maisons du Plat d’eau. Mais la transformation majeure sera en 1751 le percement du canal de l’Esplanade ; il va relier, selon le voeu de Vauban, la Haute et la Basse-Deûle suscitant un bel émoi chez les deux corporations rivales de bateliers.
Désormais, au nom de l’hygiène, on ne cherchera plus qu’à recouvrir des anciens canaux devenus inutiles. Avant de les quitter essayons de suivre avec l’historien Albert Croquez un vieux chemin aquatique à travers les quartiers du centre ville :
« Le plus ancien canal de la ville, de formation naturelle, était le cours de l'ancienne Deûle, entrant primitivement par la porte de Weppes et plus tard, un peu à l’est de la porte de la Barre, à l’endroit où se trouvait l’ancienne tour des Fouans (taupes) ; c’était ce qu’on appelait « la grande rivière ». Entre cette tour et le pont de Weppes, il prit le nom de canal des Baigneries et ne sera recouvert qu’en 1912 ; puis, après le pont de Weppes, longeant à 30 mètres à gauche la rue Basse, il s’appela plus tard le canal de Roubaix, du nom de l’hôtel dont il bordait le jardin. La vieille tour Ysembart était sur la rive gauche. Le canal coupait la rue des 3 Mollettes, entourait l’ancienne motte du Château, puis tombait dans la Basse-Deûle, à côté du Palais de la Salle, en faisant tourner des moulins.
C’est sur le canal des Baigneries, un peu en amont du pont de Weppes, qu’on amorça à angle droit, dès le XIème siècle, un fossé d’enceinte, qui devint le canal des Poissonceaux (rue des Poissonceaux, rue de Pas et rue Jean Roisin). Il avait été question de le couvrir en 1684, mais l’opposition des propriétaires riverains fera échouer le projet.
Arrivant au Rihoult, on trouve un canal, qui tournait à nouveau à angle droit et continuait par le canal des Boucheries. Ce canal des Boucheries, ainsi que ceux du centre de la ville, seront remis à jour par le bombardement de 1914 qui a bouleversé ce quartier et leurs digues en grès étaient bien conservées.
Puis le canal des Boucheries franchit la rue Neuve, passe derrière la Grand’Garde, coupe la rue de Paris entre la rue des Manneliers et la rue Saint-Nicolas, passait autrefois derrière les bâtiments de la Halle échevinale, formait le Trou aux Anguilles, puis s’incurvant à gauche, revenait longer le marché aux entes (proche du marché aux Poulets installé là en 1686), et rejoignait un nouveau canal, celui de la Quennette à peu près à l’intersection de la rue de Roubaix et de la rue des Ponts-de-Comines. Nous pensons que ce canal, dont la date de creusement est inconnue, est postérieur à celui de 1271, établi plus à l’est pour fermer la ville, en rejoignant le Becquerel presqu’au pont de Fins.
Sur ce canal des Boucheries, à peu près à la hauteur de la rue de Paris, existaient des petits ruisseaux , des « coulins », qui n’ont jamais été canalisés et dont plusieurs traversaient, en bordure nord de la petite place, des terrains qui sont restés longtemps à l’état de prairies. Un de ces coulins servait de « goulot » pour les vieilles halles, puis pour les maisons dites du Beauregard où l’on en retrouve encore des vestiges dans la 7e maison, au milieu du rang.
Au départ du Rihoult, s’amorçait à angle droit, un petit canal, dit plus tard de la Vieille-Comédie, que rejoignit à l’intersection de la rue des Fossés le canal des Molfonds. Celui-ci, du côté sud, recevait les eaux du Fourchon. Du côté nord, il coulait entre les rues Saint-Nicolas et du Sec-Arembault jusqu’au Pont de Fins ; cet embranchement était celui qu’on avait creusé en 1271. Après le Pont de Fins, ce canal, délimitation primitive entre Fins et Isla et qui était seulement alimenté par le Becquerel, longeait depuis le Moyen-Âge la Sotte Rue, passait sous le pont dit de Comines, prenait alors le nom de canal de la Quennette et rejoignait le canal des Boucheries. Il se jetait dans le fossé extérieur, à l’endroit où était la tour David. L’extrême secteur de ce canal était dit, au Moyen-Âge, "des teinturiers" ».
Les lois de la Ville sur les canaux et rivières
Depuis leur achat par la Ville en 1291 et pendant une période de cinq siècles, le Magistrat disposera de toutes les rivières intérieures « à son bon plaisir » permettant ou défendant de couvrir les canaux, de construire des puisoirs ou des latrines, ou le pressoir des Frères Mineurs en 1719. Il pouvait permettre ou interdire des barbacanes pour l’écoulement des immondices ou ces seaux à bascule appelés bicquebacques.
Il pouvait permettre aussi de percer des fenêtres dans les chambres basses des maisons riveraines et de prendre jour sur l’eau. Il autorise enfin ou il interdit aux particuliers qui ont des héritages sur deux rives opposées, de les réunir en érigeant des ponts. Et tout ceci s’obtient toujours à titre onéreux et moyennant finance.
Les lignes qui vont suivre reproduisent fidèlement un arrêté du 25 octobre 1819 du Comte de Muyssart, Maire de la ville. Ce texte charnière résume à la fois les ordonnances qui marquent la fin du XVIIIème siècle et définit bien la ville densément peuplée qui veut centraliser tout le travail des hommes.
NOUS MAIRE DE LA VILLE DE LILLE, ARRÊTONS :
- Il est défendu aux bouchers de jeter dans les canaux, égouts & aqueducs, les entrailles & le sang des animaux qu’ils abattent (Ordonnance du 7 octobre 1750).
- Ils feront transporter, à leurs frais, les entrailles sur le terrain de la voirie en la commune de St André ; ils feront également conduire, dans des tonneaux bien fermés et sur le même terrain, le sang qu’il leur est interdit de laisser couler dans les ruisseaux des rues. (Même ordonnance.)
- Les marchands de poissons frais, secs et salés, ne pourront jeter les rognures, entrailles, etc. des poissons ni dans les canaux, ni dans les égouts et aqueducs ; ils les feront déposer, à leurs frais, à la voirie. (Même ordonnance.)
- Les tripiers s’abstiendront de faire couler dans les canaux et aqueducs, les eaux dans lesquelles les tripes ont été cuites ; ils sont tenus de les faire transporter à la voirie. (Même ordonnance et arrêté du 24 décembre 1812.)
- Il est défendu à tous manufacturiers, marchands ou peigneurs de laine, & autres tels qu’ils puissent être, de laver des laines dans les canaux intérieurs de la ville. Si ce lavage a lieu dans leurs maisons ou établissements, ils feront conduire à la voirie les eaux qui ont été employées à cette opération. (Ordonnance du 20 juin 1789 & arrêté du 24 décembre 1812.)
- Les teinturiers, chapeliers, foulons, tanneurs, pelletiers, gantiers & salineurs ne pourront également jeter dans les canaux, égouts & aqueducs, les bouillons, rognures ou raclures, ou autres résidus provenant de leurs fabriques ou professions. Ils devront les faire déposer à la voirie. (Ordonnance du 24 septembre 1770.)
- Les savonniers & toutes personnes qui auront à se défaire d’eaux croupissantes, gâtées & corrompues, pourront les jeter dans les ruisseaux des rues ; mais ils devront les faire couler de suite, jusqu’aux égouts, avec de l’eau claire. En cas de gelée, ces eaux seront directement versées dans les égouts & ne pourront être jetées ni dans les ruisseaux, ni surtout sur la voie publique. (Arrêté du 24 décembre1812.)
- Il est expressément défendu à tout particulier de jeter dans les canaux aucune espèce d’ordures ou de décombres. (Arrêté du 22 Avril 1811.)
- À l’époque de la mise basse des eaux […] seront, sur l’injonction qui leur en sera faite par MM. les Commissaires, tenus de faire enlever aussitôt et à leurs frais, la vase et les décombres qui se trouveront devant leurs propriétés. (Ordonnance du 10 juin 1774 et arrêté du 22 Avril 1811.)
- Attendu qu’il existe un grand nombre de puisards en bois, en mauvais état, & dont les terres en s’éboulant dans les canaux, peuvent non seulement nuire à la circulation des eaux, mais former des amas de vase […] sur le rapport de M. l’Architecte] le propriétaire sera, s’il y a lieu, tenu de faire reconstruire en briques ledit puisard, dans le délai déterminé par l’injonction qui lui en sera faite & suivant l’alignement qui lui sera indiqué.
- Les dépôts de fumiers, d’immondices & d’ordures de toutes espèces sont formellement interdits sur les puisards.
- Toutes contraventions aux articles précédents seront poursuivies et punies des peines prononcées par l’article 471 du code pénal.
- Pour les canaux non navigables, tels que celui du Trou aux Anguilles, la Rivièrette & le Becquerel, & dans lesquels il n’est pas moins important d’exercer une active surveillance, les propriétaires riverains ou leurs locataires qui doivent sentir la nécessité de maintenir ces canaux dans un état de salubrité, sont invités à livrer passage par leurs maisons à MM. les Commissaires de police ou aux gardes canaux, afin que par les issues de ces maisons donnant sur les canaux, ces derniers s’assurent s’il n’a pas été commis quelques-unes des contraventions indiquées dans le présent arrêté.
- Afin de veiller à ce que les dispositions du présent arrêté soient strictement exécutées, deux gardes seront spécialement préposés à la surveillance des canaux de la ville. [...]
- MM. les Commissaires de police sont chargés d’assurer, en ce qui les concerne, l’exécution du présent arrêté qui sera soumis à l’approbation de M. le Préfet.
Au XIXème siècle, la situation ne cesse d’empirer
L’historien Pierre Pierrard dénonce l’usage abusif des puisoirs, radeaux ou plateformes sur pilotis construits en avant des ateliers établis le long des canaux. Ils dominent l’eau de 15 à 20 cm ; les pêcheurs y installent leurs filets. Ils gênent le passage des petites nacelles. Ils contribuent à polluer l’eau. En 1831 les Mémoires de la Société Royale des Sciences, de l’Agriculture et des Arts relatent au nom de la salubrité les recherches savantes de Thémistocle Lestiboudois « sur les moyens d’assainir les canaux de la ville de Lille ».
Après les épidémies de choléra, l’affaire du Canal des Soeurs Noires fera grand bruit. Dans son lycée impérial longé par le canal « aux vapeurs méphytiques », le Proviseur inquiet pour la santé de ses élèves alerte le Préfet, le Recteur d’Académie et le Ministre de l’Instruction Publique. Le Conseil Central d’Hygiène et de Salubrité du Département du Nord décide : « qu’il y a urgence à ce que le canal soit recouvert non seulement entre le Pont Saint-Jacques et la rue des Fleurs mais entre cette rue et celle de Roubaix. Le canal formerait une belle et large rue qui procurerait un débouché de plus pour la gare de chemin de fer et contribuerait en même temps à l’aération de la ville qu’il importe d’améliorer surtout près du lycée où reposent les jeunes espérances de tant de familles. »
C’est au lendemain de l’agrandissement de 1858 et surtout à partir de 1870 que, malgré les blanchisseurs, les teinturiers et les propriétaires de moulins, les canaux du centre ville et même de Wazemmes se couvrent les uns après les autres. C’est ainsi que disparaissent le canal de la rue de la Comédie, le canal des Hibernois, de la Rivièrette, le canal Saint-Jacques, celui du Pont de Flandres et de la rue des Tours, le canal de l’Arc. On couvrira aussi celui du Becquerel devenu un cloaque infect.
La ville financera en partie ces grands travaux mais devra faire appel à l’initiative privée. C’est alors que des particuliers acceptèrent de couvrir à leurs frais la portion de canal jouxtant leur demeure à condition d’en obtenir le libre usage. Par exemple, le Comte de Pas en cédant un peu de son jardin et en avançant les fonds nécessaires, aidera à la couverture du Canal des Poissonceaux et à la naissance d’une voie nouvelle (qui portera son nom) reliant la place de l’Arsenal à la Place Rihour en coupant la rue Nationale. Tronçon par tronçon, les canaux furent recouverts et transformés en « égouts modernes ».
Dans le Tome I du livre « Lille et la région du Nord en 1909 », il est bien précisé qu’il reste bien des choses à faire mais nous reproduisons une carte compliquée des égouts et des canaux de la ville de Lille accompagnée d’une légende impressionnante qui mesure le travail accompli. A la veille de la guerre 1914-1918, les canaux ne recevaient plus d’eau de rivière, et seules s’y déversaient les eaux des aqueducs.
En 1921, les lecteurs du Grand Hebdomadaire Illustré apprécieront la photo romantique du canal du Cirque avant sa disparition comme ils suivront avec passion en 1929 les travaux du comblement de la Basse-Deûle.
Et si finalement pour avoir tellement changé Lille ne méritait plus tout à fait son nom ?
Dans les années cinquante, un journaliste étonné par « cette ville qui repose sur un labyrinthe de rivières » pousse très loin la curiosité : « Près de la rue de Béthune, on rejoint le canal des Molfonds par la porte d’un couloir. Derrière cette entrée nous trouvons un escalier dont les dernières marches disparaissent dans l’eau. Place Rihour, un établissement n’ouvre pas sur le trottoir le soupirail bardé de fer de sa cave. Dégagez-en la barre de sûreté et un faux pas vous ferait trébucher dans une nappe d’eau noirâtre et écumeuse profonde de deux mètres, d’un autre collecteur aux ramifications invisibles. »
« Sous le marché Saint-Nicolas, entre les parois humides et verdies passe tranquille le canal des Boucheries. On y accède péniblement par une plaque d’égout soulevée place du Général de Gaulle. Dans un boyau étroit, dix échelons à descendre. Sur vingt mètres, il convient ensuite de patauger dans quelques centimètres de boue. Enfin s’ouvre la lourde porte portant encore gravée sur l’une de ses pierres une date, "1801". La rivière ici a 6 mètres de large et selon les jours l’eau y joue à la marée ». Au même endroit, sous la salle Salengro, en juin 1987, Michel Marcq se désolera de la destruction d’une magnifique salle souterraine et d’un canal resté intact avec sa puissante architecture de blocs de grès taillés avec soin. Un canal, dit-il, qui pour toujours restera ignoré des Lillois.
En 1965, on parle de transformer le quai du Wault en parking. Les riverains s’émeuvent et envoient une pétition au Maire. Sous la chaussée ils voient passer un énorme collecteur en béton qui décevra beaucoup ceux qui rêvaient de faire de cet endroit un port de plaisance relié à La Deûle. Mais le bassin sera remis en eau. Les travaux de reconstruction du quai seront longs mais exemplaires. Aujourd’hui l’endroit a beaucoup de charme et les Lillois apprécient fort d’y faire la fête et de participer aux feux d’artifice sur ce plan d’eau magique.
Car la ville moderne peut réserver de bien belles surprises. Sur le site de l’ancien Hôpital Militaire Scrive, aujourd’hui annexe de la Préfecture, la mise au jour du canal des Jésuites et de la porte d’eau séduit les visiteurs. On avait oublié ce canal. Il avait été recouvert en 1713 sur ordre des Pères qui se plaignaient fort de la conduite scandaleuse des usagers du canal qui traversait leur collège. Et l’on se prend à rêver.
Le 3 novembre 1686, les ambassadeurs du Siam, envoyés par le roi Louis XIV arrivent à Lille
« Le lendemain, la matinée se passa à visiter l’église et l’établissement des Jésuites où ils furent reçus par tous les Pères. On leur fit voir notamment un moulin à eau qui, par diverses combinaisons mécaniques entonnait le blé, le broyait et lui faisait subir toutes les manipulations pour lesquelles la main des hommes est nécessaire dans les moulins ordinaires. Outre les opérations de broyage et de blutage la machine envoyait encore l’eau dans les caves pour brasser la bière et dans les greniers pour tremper l’orge et la faire germer. Les ambassadeurs, émerveillés, demandèrent le plan de ce moulin et l’on s’empressa de leur donner satisfaction. »
Et si aujourd’hui à Lille, l’eau était sortilège, capable de transfigurer nos paysages urbains ? Il faut continuer à suivre le fil de l’eau !
Cet article est extrait de notre bulletin de mars 2009, que vous pouvez vous procurer par correspondance, ou en vous rendant dans notre local de la rue de la Monnaie.