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Lits et lieux de justice à Lille

Publié le 28 mai 2012  
Mis à jour le 28 novembre 2025

L'activité judiciaire occupe dans la ville une place importante. Elle est aussi ancienne que la ville elle-même. Comme elle devrait quitter l'avenue du Peuple Belge en raison des travaux que devrait subir le bâtiment du palais, il nous est apparu important de retracer l'histoire des lieux de Justice.

Le duel dans la légende de Lydéric et des forestiers de Flandre

C'est un célèbre combat au corps à corps, un de ces duels que l'on appela jugement de Dieu. Pour Alelxandre de Saint-Léger, « Au jour indiqué, le 15 juin 640, le roi Dagobert, avec toute sa cour, vient assister au combat qui a lieu dans la ville de Lille, sur le pont de Fins. Le combat est long, mais Lydéric triomphe du géant, le tue et délivre sa mère. Alors le roi, pour honorer le courage du jeune chevalier, lui donne « du consentement des princes, barrons et seigneurs qui l'accompagnent », les biens de Phinaert et lui confie en outre l'administration de la Flandre, sous le titre de forestier... Il fit régner dans le pays une sévère justice, réprima les brigandages, châtia sévèrement les crimes et délits ». Et l'archéologue Rigaux de répondre « Il y avait en présence, de chaque côté de la Deûle, deux races différentes et ennemies. Leur antagonisme a été symbolisé dans la légende par deux personnages, l'un bon et l'autre mauvais. Phinaert était le principe mauvais alors que Lydéric représentait l'influence libératrice ».

Le mallus publicus

En 874, au temps du roi Charles le Chauve, se tient une session d'un grand tribunal itinérant : le mallus publicus. C'était une réunion de princes laïcs et ecclésiastiques chargés de régler les affaires de la contrée. Au cours de cette assemblée la soeur du roi, la petite fille de Charlemagne, Gisèle épouse d'Evrard de Frioul, le grand seigneur franc, confirma et accrut ses donations en faveur du monastère de Cysoing. Fives était alors un vallon délicieux arrosé et fertilisé par des eaux très pures provenant des carrières de Lezennes. Séduite par la beauté du lieu, Dame Gisèle y possédait une métairie. Les Fivois revendiquent l'assemblée des leudes sur leur territoire qui allait loin jusqu'à Saint-Maurice. Les chemins de Fives qui vont vers Tournai et Saint-Sauveur (rue de Fives notamment) sont des plus anciens. Plus tard l'aquarelle de Van Driesten représentera ainsi une assemblée féodale où dans la suite de Mathilde de Flandre et de son époux Guillaume le Conquérant nous reconnaissons les juges de la cour féodale de Saint-Pierre.

La Halle échevinale

Dès qu'il exista une commune, celle-ci eut sa maison à l'origine propriété du souverain. Dans la charte de 1235, la comtesse Jeanne rappelle qu'elle et son mari Ferrand ont donné la halle à la ville. La première halle devait se trouver à l'entrée de la rue des Manneliers mais cette maison primitive s'agrandira jusqu'en 1664. Siège de la vie municipale, la Loy s'y réunissait et la justice s'y rendait dans une salle des plaids en façade sur la rue des Sept Sauts devant la grande salle du conclave. La gravure nous laisse admirer une « neuve halle » de 1593, très décorée, de Jean Fayet. Bâtie en pierre dure d'Ecaussines, elle domine de toute la hauteur de ses pignons latéraux, en gradins sur le ciel, des maisons du XIIIème et du XVème siècle. À droite « la vieille halle » est formée de deux immeubles. Entre le comble à lucarnes couvert d'ardoises et la galerie d'arcades en corniche de ces maisons, se détache la « bretèque » coiffée d'un petit toit pointu. C'est sur ce balcon que l'on publiait les bans échevinaux. En 1442, on réédifia deux beffrois « l'un sur l'autre ». Sur un premier beffroi en charpente de forme conique qui supporte une grosse horloge, on peut voir une deuxième charpente en forme de poire percée d'auvents. En 1664, l'ensemble des bâtiments de la halle sera vendu par lots mais on verra jusqu'en 1870 la façade à grand pignon du café Lalubie. Après les terribles bombardements de 1914, la reconstruction de la partie sinistrée comprise entre la rue Faidherbe, la place du Théâtre et le commencement de la rue de Paris donna lieu à des fouilles assez profondes sur une partie de l'emplacement de l'ancienne Halle échevinale. Les travaux mettront à jour les fondations de l'ancien beffroi en découvrant un énorme cube, composé de pierres blanches mélangées de silex, enfoncé à une profondeur considérable. Derrière les maisons de la rue Faidherbe, vers la rue de Paris on découvrit aussi une vieille muraille aux anciennes baies cintrées qui devait appartenir à la Halle échevinale.

Le Palais Rihour

En 1453, sur décision du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, sa construction en remplacement du château de la Salle fut une formidable aventure qui dura vingt ans. Ce grand palais occupait presque toute la place actuelle. Il dessinait un quadrilatère avec au centre une cour d'honneur. Il y avait l'aile de la galerie vers la rue de la Vieille Comédie, puis celle des dames, ensuite, face à la rue du Palais Rihour, l'aile du duc et enfin, la plus importante, tournée vers l'actuel Crédit du Nord, celle de la gouvernance. À chaque angle intérieur se dressait une tourelle d'escalier à toit pointu. Devenu hôtel, Rihour ne cessera d'être l'objet de l'attention du magistrat de Lille et, lorsque les travaux devinrent nécessaires à la Halle échevinale, l'idée lui vint de faire acheter le palais par la ville. Les pourparlers engagés en 1593 aboutirent... en 1664. Le Rihour fut acheté au duc d'Arenberg pour 90.000 florins sous réserve que différentes salles resteraient affectées à la gouvernance et au bailliage. Ces pièces ne pouvaient servir que pour les fonctions de justice. Elles comprenaient en fait la salle des gardes et des appartements du rez-de-chaussée pour le chauffoir et les greffes.

Le 8 juillet 1664, après s'être réuni une dernière fois dans la halle, le magistrat se rendit en cortège à l'église Saint-Étienne où après avoir entendu une messe en musique, il alla au son de la cloche Emmanuel, tenir séance dans le Palais Rihour. Il offrit un banquet où furent invités avec tout le corps municipal, les commissaires au renouvellement de la loi et les baillis des quatre Seigneurs hauts-justiciers de la châtellenie. Quatre jours après, le 12 juillet, la potence fut amenée devant le Rihour, et le magistrat assista en corps à la première exécution capitale. La grande chapelle servait aux délibérations de la Loy de la ville. Elle était le conclave, c'est-à-dire le lieu où l'on s'assemble pour délibérer à huis clos. Les échevins siégèrent également dans la même salle comme corps de justice.

L'aquarelle du manuscrit Pourchez nous transporte au Rihour en 1729 au moment où « Messieurs les magistrats de la ville ordonnent aux quatre sergents d'échevins d'aller avertir chacun son quartier de faire sonner les cloches des paroisses et couvents d'hommes et de filles de la ville pendant une heure pour annoncer au peuple l'heureuse nouvelle de la naissance d'un dauphin en France ». Le Palais Rihour sera le décor apprécié de la justice échevinale pendant tout le XVIIIème siècle.

Pour Marcel Decroix, Messieurs les Magistrats « viennent au conclave presque chaque jour, soit en « loy assemblée » soit en « plaids » assemblée judiciaire, soit dans les multiples commissions dont ils sont membres, ou pour remplir les différentes charges qui les incombent. Ils y sont convoqués, et pour l'assemblée de justice des plaids du hestal (à la barre) une affiche mise à la porte indique les jours, ce pourquoi la ville paie chaque année des honoraires à un sergent à verge d'échevins. Ils revêtent dans leurs fonctions dont ils sont très fiers une robe, qui était et est restée un des signes des fonctions de l'ordre judiciaire ».

A la Révolution, le nouveau corps municipal élu en 1790 continue à siéger dans le Conclave et, lors des cérémonies publiques en 1791, les huissiers audienciers viennent encore en robe rouge. Au moment de la suppression des fonctions judiciaires et de la création des tribunaux, la municipalité luttera pour conserver le plus possible ses emplacements du Rihour.

Le tribunal ou « le nouveau tribunal de la nation française à Lille » devra se contenter jusqu'en 1839 de salles dans l'aile de la gouvernance ; à cette date les prisonniers du « Petit Hôtel » près du Palais seront transférés dans les nouvelles prisons et la salle du conclave sera abandonnée. Pour sa transformation en hôtel de ville, le XIXème siècle le dotera d'un beffroi « qu'on n'pouvot vetier sans rire », oeuvre éphémère de l'architecte A. Leplus. En 1847, on décida de la démolition complète du palais où ne devait subsister que le bâtiment qui abritait la chapelle. Le dessin de Benvignat - l'architecte de l'hôtel de ville - reproduit ci-contre, nous donne une vision romantique du palais du duc de Bourgogne. Le jardin qui est au premier plan deviendra la rue du Palais qui conduit au collège des Jésuites. Peu connu, ce dessin qui souligne toute la majesté du Rihour était sans doute destiné à la Commission Historique du Nord. L'intervention de celle-ci sauvera l'escalier de Philippe le Bon. Plus massif que les autres, cet escalier, situé à l'angle de l'aile du duc et de la gouvernance fut démonté, remonté, restauré et accolé au conclave. L'histoire du palais Rihour est jalonnée d'incendies destructeurs et le plus terrible d'entre eux consumera l'hôtel de ville, le 25 avril 1916, entraînant la perte d'une partie des archives municipales modernes, d'une partie de la riche bibliothèque communale et de la totalité des précieuses collections de la Société des Sciences, Arts et Agriculture, pertes irrémédiables pour la ville de Lille.

Des lieux d'exécution célèbres

En 1664 la translation de l'échevinage au palais Rihour supprimera deux instruments de supplice jusqu'alors en permanence sur le marché, près de la bourse et du poids public : c'étaient le pilori (disparu en 1639) et le cheval de bois, qui servait à l'exposition des filles éhontées. L'échafaud par ordre du prévôt, apparaissait devant la halle chaque fois que le gibet, la hache, la roue, les verges, l'eau bouillante ou le feu devaient servir à une exécution capitale. Relisez les contes flamands d'Hippolyte Verly et l'histoire terrible de « la belle Odette », la plus belle fille de Lille accusée injustement du meurtre de ses parents adoptifs. Torturée dans les cachots de la prison du roi, elle n'avouera jamais. Vous apprendrez comment, vingt ans plus tard, vieille et infirme, elle retrouvera les meurtriers dont nous reproduisons ci-contre le châtiment exemplaire sur le grand marché.

Rappelons que la prison du roi, place du Théâtre, bâtie en 1524, avait son entrée dans la rue des Suaires ; elle était affectée aux individus « non bourgeois » condamnés pour crimes et délits commis en dehors de la ville et de la banlieue. La prison ayant été transférée en 1701 sur l'emplacement de l'ancienne porte Saint-Pierre, le bâtiment disparut ; on y construisit le Poids public et des maisons particulières dont l'une servit longtemps de magasin de décors de théâtre. Le 04 janvier 1909, dans le chantier pour la construction du nouveau théâtre, l'archéologue Henri Rigaux retrouve ses murailles près de l'ancien Poids ; il visite à l'emplacement de l'hôtel du Singe d'Or des caves voûtées qui étaient en réalité des cachots souterrains, mais surtout derrière la maison du 16 rue des Suaires, il découvre une porte aux pieds-droits en grès donnant accès à un cachot dont le soupirail offrait des traces de scellements. À l'intérieur, il y avait de grosses barres de fer engagées dans les murailles, des débris de chaînes, des entraves ou menottes composées de deux barres de fer réunies par une charnière, des objets très friables qui ne pourront être conservés… mais qui parlaient bien de la prison du roi.

Rue de la Justice

Les condamnés qui n'avaient pas l'honneur de mourir sur le grand marché prenaient le chemin de la justice. Ce très ancien chemin, qui menait à la voie romaine de Tournai à Estaires, fut aussi longtemps appelé le chemin de l'Évêque parce que l'évêque de Tournai l'empruntait pour se rendre en son domaine de Wazemmes. C'est là, près du carrefour des Quatre-Chemins, que se trouvait le gibet, visible sur le plan ci-contre ! Un gibet à trois piliers qui se composait d'une longue poutre horizontale supportée aux extrémités et au milieu par des piliers en pierre. Dans « l'Histoire de Wazemmes », l'abbé Salembier imagine très bien près de la porte d'Arras, peut être même dans les fortifications, ce lieu patibulaire. La Justice de Lille fonctionnera jusqu'à la Révolution et de nombreux criminels expièrent leurs forfaits sur le gibet de Wazemmes. On y réglait les conflits sanglants comme les rixes de cabaret, les drames de la jalousie ou les disputes. Pour les individus qui jouaient trop du bâton ou du couteau, une ordonnance du magistrat avait déclaré que celui qui en blesserait un autre « à plaie couverte et sang coulant » serait banni trois ans et trois jours de Lille et de sa châtellenie et qu'il paierait de plus une amende.

En 1591, trois traîtres avaient conçu le projet de livrer la ville de Lille aux Hurlus et aux Tournaisiens. Ayant été découverts, ils furent emprisonnés et châtiés. L'un fut décapité et sa tête placée au bout d'une lance sur la porte des Malades. Le second fut traîné sur une claie de la prison à l'échafaud, puis décapité ; l'exécution faite, on exposa sa tête sur la porte du Molinel. Le troisième fut pendu ; après quoi son corps fut divisé en quatre : une partie fut jetée dans l'eau des fossés devant le moulin des Repenties, et le reste en trois endroits différents ; ses entrailles furent enterrées sous la justice et sa tête montrée à la porte de la Barre !

En 1662, un jeune homme se pend. Dans la soirée, par sentence des échevins, on traîne son corps hors la ville, jusqu'au lieu patibulaire et là, on l'attache sur une fourche, les pieds en haut, le suicide étant puni comme une lâcheté criminelle. Les duellistes connaissaient le même châtiment. Quelquefois aussi le condamné était traîné sur la claie, attaché vivant ou mort, à la queue d'un cheval ; on lui faisait parcourir une partie de la ville sur le pavé, dans la boue et la poussière. Parfois, on le plaçait sur un « éclan » et on le conduisait à la voirie : « al bouvaque ! » À Lille, les traditions ont la vie dure... À l'emplacement de la bouvaque, un jour, s'installera la T.R.U.

Pendant la période révolutionnaire et sous l'Empire, la justice est un terrain vague où l'on dépose des fumiers. En 1814, ce terrain de 25 ares est vendu à M. Lefebvre pour être loti et transformé dans l'urbanisation formidable du quartier. Aujourd'hui, l'histoire de la rue de la Justice n'évoque pas que des souvenirs sinistres puisqu'en 1914, autour du 55 de la rue, l'abbé Henri Lestienne verra fonctionner avec bonheur la cité-jardin modèle, moderne et lumineuse (soit 46 appartements et 5 magasins rassemblés autour d'une cour intérieure) qu'il vient de fonder. 

L'ancien palais de justice : 1834-1961

En 1826, un concours national est ouvert pour la construction du palais de justice de Lille. Il réunira 20 projets dont celui de deux jeunes Lillois, Louis Verly et Charles Benvignat. Le projet lauréat est celui des architectes parisiens Dommey et Moret mais le ministre de l'Intérieur, le jugeant trop cher, décidera de confier le projet à l'architecte départemental Victor Leplus en lui conseillant de s'éclairer « des données contenues dans les plans des concurrents qui ont obtenu la préférence ! » Victor Leplus réalisera aussi à Lille, sur les indications du docteur Le Glay, archiviste, un solide hôtel des archives tout de pierre et de fer, inauguré en août 1844. C'est alors que sera démolie, à l'entrée de la rue du Pont Neuf, la prison Saint-Pierre de 1701, proche de la porte du même nom et nous vous en donnons ci-contre la représentation pittoresque.

Le site choisi pour le premier palais de Justice est un haut lieu de l'histoire de la ville. En effet, le palais sera bâti en partie sur le terrain occupé par le palais de la Salle, demeure des comtes de Flandre, construit aux origines de la cité et démoli au XVIème siècle, où siège une puissante juridiction féodale et comtale. Il sera bâti en partie sur l'emplacement de la collégiale Saint-Pierre, le premier lieu de culte de la ville complètement détruit par « la bande noire » à la Révolution. Dans l'histoire, la force du chapitre de Saint-Pierre le mettra souvent en conflit avec le Magistrat. Le Palais sera bâti enfin en partie sur l'emplacement des vieux murs qui bordent la Deûle et, pour Louis Trenard : « Ainsi se renouvelait l'urbanisme lillois : un vieux quartier populaire depuis toujours lié aux activités du port changeait de visage et bientôt de vocation : au palais de justice répondait l'hôpital général construit sur la rive opposée et, marquée à chaque extrémité par un monument important, la rivière devenait une des plus belles perspectives de la ville ». La belle gravure reproduite ci-contre nous montre en effet un Grand Rivage actif et très animé « enjambé » par le pont Notre-Dame-d'Assistance et nous reconnaissons bien volontiers que le comblement de la Basse-Deûle en 1930 banalisera ce site si particulier.

Le palais de justice traversera le temps, seul monument pleinement néo-classique de Lille, bâtiment aux lignes sévères, aux ouvertures rares, flanqué de lourdes et laides prisons civiles qui ne seront désaffectées qu'en 1920. Pour sa construction, on démolit en 1836 le « Raspuck », une maison forte de 1661 située à l'angle de la rue de la Deûle et du quai de la Basse-Deûle. Lorsqu'on fit les terrassements, on découvrit d'antiques substructions qui bouleversèrent les archéologues, persuadés d'avoir découvert des thermes romains. Et cette découverte fut le grand événement de la construction du palais de justice. La façade, sur le quai de la Basse-Deûle, présente un péristyle à quatre colonnes supportant un fronton sculpté par Bra, tandis que la façade postérieure dans le goût italien est couronnée par un fronton, oeuvre du sculpteur Lemaire - celui-là même qui fit le fronton de la Madeleine à Paris - fronton qui représente « la Religion relevant les coupables ». Offertes à la ville par Cadet de Beaupré, professeur aux Écoles académiques, les statues de Démosthène et Cicéron d'une part, de d'Aguesseau et de l'Hospital de l'autre, se dressaient en avant du porche. Jugées « lourdes, massives et d'un effet disgracieux », elles furent enlevées en 1849.

A l'intérieur, se trouvent les différentes chambres du tribunal civil et du tribunal de commerce, séparées par une salle des pas perdus qui ne manque pas d'élégance avec une colonnade que l'on croirait « empruntée à quelque atrium pompéien ». Et Albert Croquez d'avouer : « Ce n'est pas que le palais de justice incite particulièrement à la rêverie. Je ne connais guère, en son genre, d'édifice plus maussade, de salles d'audiences plus obscures, de petites pièces enchevêtrées plus rébarbatives. Mais tel qu'il est, il abrite, chez les magistrats, les meilleures traditions de compétence et de courtoisie et chez les avocats, de chaudes et cordiales confraternités ». Dans les années cinquante, jugé trop petit et trop vétuste « l'ancien » palais de justice, au même endroit, devra céder la place à un « nouveau » palais.

Une exécution capitale à Lille à la Belle Époque

L'affaire Favier avait commencé à Lille, le 31 janvier 1910 par la disparition d'un garçon de recettes de la Banque de France. Toute la ville retient son souffle et la police est sur les dents, effectuant 141 perquisitions dans le quartier de la rue des Postes, explorant les égouts, interrogeant « les gens sans aveu », sondant « les cabarets mal famés ». À Wazemmes, la colère gronde à l'idée qu'un « ouvrier » courageux, honnête travailleur, ait été assassiné. Le temps passe et l'absence prolongée d'un représentant de commerce en vins et cognacs de la rue des Postes, Antoine Favier, permettra de découvrir dans le grenier de sa maison le cadavre de l'encaisseur. Pour de l'argent, le garçon a été sauvagement tué à coups de marteau. Favier, en fuite, sera reconnu à Nancy et, à son retour à Lille, à la prison, près du quai de la Basse-Deûle, il sera accueilli par des Lillois en délire criant : « A mort ! A l'eau ! Vengeance ! ».

En novembre 1910, Favier sera condamné à mort et Me Victor Dubron plaidera en vain sa cause devant le Président de la République, Fallières. La date de l'exécution est fixée au mercredi 11 janvier 1911. Alors commencent deux jours de folie autour du quartier de la Monnaie. Le fourgon de la guillotine en gare de Lille, le mardi matin, est suivi par l'arrivée de Paris du bourreau acclamé par des « Vive Deibler » retentissants.

Celui-ci ne gagnera que très difficilement le palais où il fut décidé que l'exécution aurait lieu sur la place de la prison. Sur la photo, on le voit s'échappant du palais de justice par la sortie du quai de la Basse-Deûle.

Pendant ce temps, Favier, dans sa cellule, ne se doutait pas de son exécution prochaine. Mardi soir, tout le quartier de la Monnaie est bouclé par 1450 hommes, agents, gendarmes à pied et à cheval, fantassins et cavaliers. La foule ne verra pas le supplice. On s'arrache à prix d'or les places aux fenêtres des deux estaminets de la rue du Palais. « Le Nord illustré » paiera 140 francs pour permettre au peintre Edmond Jamois de « croquer sur le vif » l'exécution de Favier du mercredi 11 janvier 1911, qu'il accompagne d'un texte pathétique : « Le petit jour rend plus blêmes les visages des assistants déjà pâlis par l'insomnie et l'approche du frisson de mort qui va passer. Au loin, derrière les barrages, la foule commence à gronder : les chevaux des cavaliers piétinent sourdement comme les jours d'émeute. Des fenêtres s'ouvrent hâtivement. La porte de la prison vient de s'ouvrir. Les personnages officiels en descendent. Favier va paraître. On s'attendait à voir un corps affalé soutenu et peut-être porté par des aides. Or voici que c'est un homme qui s'avance résigné, presque serein, et dont les aides s'éloignent un peu comme par respect pour le courage avec lequel il expie. Favier, très calme, promène un regard tranquille mais dénué de forfanterie sur la foule. Sa chemise blanche échancrée fait ressortir sa peau blanche comme celle d'une femme. Avec ses longs cheveux blonds, sa barbe rousse et ses yeux bleu faïence ce vil criminel a l'air d'un doux martyr qu'on conduit au supplice. Mais voici que son regard se pose sur le couperet. Il n'en reste pas moins calme et, comme attiré par la mort, il avance lui-même vers la planche à basculer pour engager son cou dans la lunette fatale. »

Vingt mille ouvriers et ouvrières escorteront les restes de Favier en hurlant des insultes jusqu'au cimetière de l'Est.

Le nouveau palais de justice : 1960-1968

Sa construction dura dix ans et le quartier de la Monnaie se transformait à vue d'oeil... Les guides de la RLA aimeront ce palais moderne et utile, véritable réussite architecturale. Rappelons quelques étapes qui précédèrent la construction. Au début de 1961, les services sont transférés rue Camille Guérin, et en septembre commence la démolition qu'attendaient les archéologues. La campagne de fouilles de 1963 de MM Leman et Jessu remettra au jour la crypte romane de la collégiale Saint Pierre. Le nouveau palais sera en service le 2 janvier 1969. Avec toutes les salles de tribunaux accessibles au public, il répond au souhait de son architecte, Jean Willerval « d'une justice plus humaine, compréhensive et respectueuse de la dignité humaine ». Pendant sept ans les grands cartonniers ont préparé 312 m2 de tapisseries qui, sur la rigidité du béton, apporteront la chaude souplesse des laines et des couleurs vivantes. Le palais est un véritable musée de la tapisserie moderne. Les architectes Willerval et Spender ont prévu, pour un édifice d'un volume dix fois supérieur au précédent, un bâtiment bas de même élévation que les maisons du voisinage pour les salles d'audience publique et une tour de 50 mètres où sont groupés les services de l'instruction du parquet et du greffe. Les sous-sols comportent trois étages de parking et des salles d'archives. Au rez-de-chaussée bas, le tribunal de police ressemble à l'hypogée d'un tombeau égyptien où les murs, recouverts de bois clair, se resserrent vers le sommet. Le mobilier noble est, ici, comme partout, incorporé à l'architecture. En face, s'ouvrent les deux portes de la salle d'instance où, dans l'ambiance particulière d'un « canon » de lumière, le justiciable est surpris de découvrir, face à lui, la tapisserie de Michel Degand aux dimensions si particulières (11,50 m x 2 m).

Sous le titre « D'étoiles dans les soirs tremblants », le cartonnier veut jeter des clartés, dire l'espoir, et le regard bondit vers la tache centrale qui est un cri de lumière. Mais, autour de la salle des pas perdus, les quatre grandes salles d'audience possèdent aussi des tapisseries de Prassinos, Gilioli, Bazaine ou Ubac. Alors que le tribunal de commerce garde une tapisserie de Beaudin, le tribunal pour enfants au premier étage a choisi une tapisserie de Tourlière. La salle de sécurité sociale et les bureaux du président du tribunal et du procureur de la république abritent les tapisseries de Millecamps et de Guérin. La visite du palais est toujours une découverte.

Vers une nouvelle localisation de la justice lilloise ?

L'inadaptation du bâtiment et la nécessité d'y faire d'importants travaux ont amené les professionnels lillois à proposer la création d'une « cité judiciaire ». Le ministère de la Justice et la Ville de Lille se sont engagés dans l'étude de ce dossier. Bientôt, la justice à Lille sera rendue sur un nouveau site... Euralille est à l'étude, entre parc Matisse et boulevard périphérique. Qui sait, actuellement ce que l'évolution de ce dossier apportera, évolution névralgique pour la ville et la vie de la ville.

Cet article est extrait de notre bulletin de mars 2012, que vous pouvez vous procurer par correspondance, ou en vous rendant dans notre local de la rue de la Monnaie.

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En cette fin d'année, la RLA rend hommage à l'artiste Jean Smilowski du mercredi 3 décembre 2025 au samedi 31 janvier 2026. 
A cette occasion vous pourrez venir au local de l'association rue de la Monnaie pour vous imprégner de l'oeuvre de cet artiste autodidacte lillois.