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Des immeubles et des maisons dans la ville agrandie

Publié le 02 octobre 2006  

La maison Coilliot est, cette saison, au centre de l'actualité du patrimoine. Après Nord Eclair, le 30 août, la Voix du Nord du 26 septembre 2006 lui a consacré une page, s'interrogeant sur son devenir. Comment apprécier la valeur culturelle et patrimoniale de ce chef d'?"uvre d'architecture civile, et le comprendre dans le développement de l'architecture de la maison de ville à Lille , telle est la démonstration que nous vous proposons.

Si le modèle parisien de tracé urbain connut à Lille une bonne fortune, au moment de l'agrandissement de 1858, il en alla tout autrement du modèle des immeubles à édifier. Le type de l'immeuble parisien à appartements ne put être réalisé que le long de quelques voies nouvelles, principalement la percée de la rue de la gare, autour de la place Napoléon III (avant d'être place de la République), de la porte de Paris et le long du boulevard Carnot. Ouverte en 1869, son dessin initial, réalisé par Auguste Masquelez, directeur des Travaux Municipaux, était issu du modèle des immeubles à galerie de la rue de Rivoli.

Au-delà de ces quelques exemples d'importation du modèle parisien, la grande, la petite et la moyenne bourgeoisie de Lille apparurent très attachées à la maison de ville comme forme ordinaire du logis. On vit donc s'édifier, le long des voies nouvelles, des rangées de maisons qui poursuivirent, avec les matériaux du XIXème siècle, les formes d'architecture et de composition mises en place les siècles précédents. Il faut chercher dans la distribution intérieure les nouveautés du siècle. La maison de ville souhaite imiter les suites de pièces qui sont le caractère distinctif des hôtels particuliers de l'aristocratie. A leur image, la maison se divise en parties ordonnées : pièces de réception autour de la suite vestibule, vestiaire, grand salon, salle à manger et véranda; appartements privés assemblant chambre à coucher, cabinet de toilette et de bains, petits salons et boudoirs ; pièces de service constituées par la cuisine et l'arrière-cuisine, cave à charbon et à vin, buanderie et chambre de bonne. La division interne de la maison de ville commande la division de la façade selon deux travées distinctes : une grande travée, souvent composée autour de la saillie d'un bow-window, étagera les pièces principales de l'habitation ; une petite travée, se prolongeant sur le jardin par un appendice "en marteau", marquera la superposition des circulations et des pièces secondaires servant les pièces principales. C'est autour de la cuisine et de la véranda que se cristallise, en toute saison, la vie de la famille. Les autres pièces de réception ne sont que des pièces d'apparat. Elles s'ouvrent le dimanche pour recevoir la famille et les relations selon un rituel de visite dominicale orchestré par les guides du savoir-vivre. A partir des années 1880, l'industrie met sur le marché de nouveaux produits pour le bâtiment : briques vernissées et émaillées, fonte d'ornement, zinc estampé, ferronneries, menuiseries et terres cuites décoratives. Tous ces produits industriels vendus sur catalogue servent aux maîtres d'oeuvre pour fabriquer le décor de la façade. Leur travail de composition et d'ornement se réduit au choix des matériaux qui viendront encadrer les baies, additionner les travées et couronner la façade ; ils deviennent assembleurs d'éléments de construction produits par l'industrie.

La bourgeoisie de Lille, de l'industrie et des affaires, choisit de s'installer le long des nouveaux boulevards à l'ouest de la ville, entre la place de la République et le jardin Vauban. Malgré la cherté des terrains sur le boulevard de la Liberté et le boulevard Vauban, des maisons à façade monumentale et des hôtels particuliers s'y installent. Si la question de la distribution était réglée par les usages et les convenances, la question du dessin de la façade restait un choix ouvert ; les architectes et leurs clients choisirent, selon leur gré, dans le répertoire des styles, à travers les époques et les civilisations, afin de formuler le décor d'une façade représentatif de leur goût et de leur condition. Cette manière fut baptisée « éclectique ».

En rupture avec l'école académique et l'école rationaliste, on assiste à une réhabilitation du pittoresque et de l'exotisme.

La manière éclectique

Un exemple est ce rang de maisons bourgeoises construit par l'architecte Léonce Hainez, boulevard des Ecoles, entre 1900 et 1910. La ville offre peu d'exemples de conjugaison et de continuité entre immeubles à loyers et maisons de ville. Ici, Léonce Hainez poursuit le registre de la maison de ville sur la partie basse de l'immeuble et masque deux étages sous un comble virtuel. Sur le boulevard, la maison au numéro 20 reprend les figures d'atlantes utilisées pour le théâtre Sébastopol. Le demi-étage du sous-sol est encadré d'un bossage rustique avec une grille de protection d'un dessin « art nouveau ». Les atlantes, symboles de beauté virile, magnifient le premier étage et soutiennent l'oriel de bois du deuxième étage. L'immeuble est couronné d'un pignon en pas de moineau d'inspiration régionaliste.

La maison édifiée en 1892, rue des pyramides n°18, par Alfred Newnham, inspiré par la renaissance flamande, est également caractéristique de cette production : « En plus du parfait confort exigé par la clientèle flamande, la recherche d'art s'accentue en des détails très finis, bien dessinés et profilés avec goût... On peut citer le petit hôtel de la rue des Pyramides comme un modèle de commodité urbaine, de conscience artistique, de solidité et de saine économie » (« Petites maisons modernes de ville et de campagne », E. Rivoalen, 1902). La manière de la fin du XVIIème siècle se retrouve deux siècles plus tard sous les auspices des richesses de l'industrie, avec d'autres matériaux et traits de composition, mais toujours selon une même posture du maître d'oeuvre pour sa création. Les catalogues de motifs décoratifs des ornemanistes de la Renaissance, composés de mascarons, cartouches et trophées, couronnés d'angelots, d'amours et de chérubins, se trouvent alors remplacés par les catalogues de pièces d'ornements des fabricants de terre cuite, zinc, fonte et céramiques. Une part de l'art du maître d'oeuvre sera de choisir les éléments et de les mettre en place sur son dessin pour continuer à servir un usage de composition issu des ordres d'architecture.

Si ce rapprochement entre l'éclectisme manufacturier de la fin du XIXème siècle et le maniérisme ornemental de la fin du XVIIème siècle peut paraître opportun, c'est sans doute parce que l'on rencontre, chez les maîtres d'oeuvre de ces deux périodes, une tournure pragmatique jusqu'à l'opportunisme qui tourne résolument le dos à une manière française de concevoir la forme architecturale, empreinte de terreur à l'idée de ne pas être de bon goût ou d'avant-garde. L'architecture continue d'être approximative mais généreuse, le dessin plus vigoureux que rigoureux, le décor plus luxuriant qu'exact et les matériaux organisés avec maîtrise mais sans recherche d'affectation.

Il faudra attendre l'année 1898 pour voir se réaliser à Lille un nouveau chef-d'oeuvre, deux siècles et demi après la Vieille Bourse. Il s'agit de la maison édifiée pour le marchand de céramique Louis Coilliot par Hector Guimard.

La maison Coilliot

Hector Guimard (1867-1942) s'amuse à jouer avec les contraintes imposées par la réglementation du plan d'extension de Lille, avec le biais du parcellaire, avec les matériaux vendus par le propriétaire et, dernière manipulation magistrale, avec la mémoire de l'habitation lilloise. La maison Coilliot est le manifeste d'un savoir-faire génial ; elle est également une forme d'humour inscrite dans le paysage urbain, qui transcende les contraintes et les usages pour établir une innovation de l'écriture architecturale. Le contexte urbain est simple : le bâtiment doit, suivant la réglementation, s'édifier à l'alignement de rue, à hauteur des chéneaux des maisons mitoyennes, sans saillie sur le trottoir ; et suivant le plan de lotissement, la parcelle est biaise par rapport à la rue. La façade respecte d'abord la composition de la maison de ville avec boutique par l'affirmation préalable de deux travées, la grande correspondant aux pièces principales du commerce et du logis et la petite aux pièces de service et espaces de circulation. A cette première division usuelle, vient se superposer une structure élancée en bois, esquisse d'un fronton et d'une toiture-pignon. L'incrustation de ce deuxième élément de composition dans la gangue de laves émaillées compose la définition monumentale de la façade et renvoie à l'image mythique des maisons de ville en bois à pignon sur rue.

Ce jeu sur l'emboîtement se poursuit par un travail dans l'épaisseur de la façade. Entre la façade urbaine à l'alignement de la rue et la façade domestique perpendiculaire aux murs mitoyens se glisse une superposition de balcons à la loggia du bel étage. Encadrant cette figure centrale, des vagues de laves émaillées ferment la façade en contrepoint du pignon ; au-delà, la toiture à brisis s'ouvre par de vastes lucarnes retroussées, dardant vers le ciel leurs cornières, en mémoire des antéfixes de l'architecture grecque. Ainsi la composition de la façade est un jeu subtil sur l'ordre urbain et l'ordre domestique, sur la référence à l'image traditionnelle de la maison de ville en bois et sa déclinaison selon l'Art Nouveau.

C'est également un humour grinçant sur le règlement de voirie et une enseigne manifeste pour le propriétaire des lieux, fournisseur régional de la maison Gillet, fondée par François Gillet (1822-1889), auquel succéda son fils Eugène au moment de la construction de la maison Coilliot. La maison Gillet était détentrice d'un brevet pour la réalisation de « laves émaillées et reconstituées. Produit français absolument inaltérable pour la décoration architecturale. Céramiques d'art. Modèles exclusifs ». Ces laves émaillées sont un procédé original de fusion des grands plaques qui recouvrent la maçonnerie. A l'intérieur, le hall d'entrée est un chef d'oeuvre de Guimard dont la signature se révèle sur les boutons de porte moulés à l'empreinte de sa main fermée.

Les pièces de réception du bel étage ont conservé le meuble-bahut encadrant la cheminée. Sur l'arrière, la maison communique avec les autres propriétés de la famille Coilliot : la maison, propriété d'origine de la famille Coilliot, au 12, rue de Fleurus (qui n'est plus une propriété familiale depuis une dizaine d'années), un immeuble de rapport et des ateliers d'artistes reliés par une vaste plate-forme aux allures de paquebot construite au-dessus du garage-entrepôt réalisé en béton armé, une des premières manifestations exemplaires de ce matériau emblématique du XXème siècle.

Ainsi la maison Coilliot n'est pas une oeuvre isolée. Elle fait partie d'un ensemble raisonné de propriétés, toutes commandées par Louis Coilliot dont chaque partie raconte à sa manière les aspirations diverses de création de la bourgeoisie de la fin du XIXème siècle.

Cet article est extrait de notre bulletin d'octobre 2006, que vous pouvez vous procurer par correspondance, ou en vous rendant dans notre local de la rue de la Monnaie.

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En cette fin d'année, la RLA rend hommage à l'artiste Jean Smilowski du mercredi 3 décembre 2025 au samedi 31 janvier 2026. 
A cette occasion vous pourrez venir au local de l'association rue de la Monnaie pour vous imprégner de l'oeuvre de cet artiste autodidacte lillois.